Retour sur 15 jours à parler de pair-aidance à Montréal et Québec
Au Québec, la pair-aidance en santé mentale a déjà une longue histoire. Dans son plan d’action 2005 – 2010, le gouvernement énonçait le principe du rétablissement comme moteur des services. Former et engager des pairs-aidants dans les services est apparu comme un moyen, parmi d’autres (accompagnement des familles, déstigmatisation…) d’atteindre cet objectif de rétablissement. Non reconnu encore au niveau politique, le métier de pair-aidant devrait bientôt s’inscrire dans les conventions collectives de travail. Les négociations sont en cours. Mais où en est-on exactement? Nous avons voulu en savoir plus en nous rendant à Montréal et à Québec en été 2016. Nous y avons rencontré des responsables de l’AQRP (Association Québécoise pour la Réadaptation Psychosociale), des pairs-aidants, un proche de pair-aidant, un chercheur et des responsables d’associations et ressources.
Nous sommes le 30 août 2016
Nous sommes le 30 août 2016. Guillaume est venu avec son père. Le sourire est de mise puisqu’il vient de décrocher son diplôme de pair-aidant en santé mentale. Et c’est ici, à Québec, qu’il est venu le chercher, comme quatre autres de ses condisciples. Les neuf autres de la promotion 2016 ne sont pas présents lors de cette remise officielle des diplômes. Une absence regrettée mais, semble-t-il, compréhensible vu l’agenda chargé des ex-étudiants. «La formation a changé ma vie », nous dira Guillaume, « se former, c’est accompagner et écouter. Après une journée, on est vidé ». La formation dure 15 jours seulement – plus 6 jours de stage – mais elle est intensive et effectivement, fatigante : « Les gens sont ensemble le soir comme la journée », explique Sandrine Rousseau, assistante-coordinatrice du Programme, « ils apprennent à se connaître, se racontent leur histoire de vie. Cela crée un sentiment d’appartenance très fort, ça mobilise les personnes. Nous réfléchissons à l’idée d’allonger d’une semaine la durée du cursus». Pour Guillaume, le diagnostic est tombé il y a 18 ans : schizophrénie. Le parcours du combattant pouvait commencer. Sur ce parcours, la rencontre d’un certain François a été capitale puisque ce dernier lui a dit : « On peut être heureux même si l’on est schizophrène ». Guillaume l’a pris au mot, encouragé et entouré par sa famille. « Je ressens une très grande fierté », explique son père, « je l’ai toujours encouragé dans ses expériences, dans son chemin si riche d’émotions. Il a suivi des cours pour devenir boulanger, ouvrier de la construction, quoi encore. Je disais : tu veux essayer ?, essaie ! ». Aujourd’hui, Guillaume nous dit : « Je veux encourager les autres, la vie est belle, on peut s’en sortir. Moi, j’ai envie de dire à mes pairs : C’est dans la nuit la plus noire qu’on voit le plus d’étoiles». Actuellement, le tout fraîchement diplômé pair-aidant travaille 15h/ semaine dans une petite entreprise de travail à la chaîne. Il ne s’agit pas d’un poste de pair-aidant mais l’espoir qu’un tel poste se crée prochainement dans l’entreprise est bien présent. L’idée de travailler à partir du principe de la promesse d’embauche est assez récente au Québec. Elle fait suite au constat des années précédentes : les pairs-aidants diplômés n’ont pas tous trouvé un emploi, même après plusieurs mois de recherches. Aujourd’hui, les futurs étudiants arrivent donc en début de formation avec, en poche, une promesse d’embauche mais qui ne se concrétise pas toujours « Le taux de placement est de 66%, explique Annie Beaudin, coordinatrice du Programme, et nous formons 10 à 15 pairs-aidants par session». La formation, offerte par des pairs-aidants en les personnes d’Annie Beaudin et Sandrine Rousseau, entend favoriser le vivre-ensemble et l’entraide entre pairs. Au programme : visionnage(s) de film(s), ateliers d’animation, stage d’intégration dans le futur lieu de travail, jeux de rôle, notions du rétablissement, de la toxicomanie, outils utilisés par les pairs-aidants etc. « Cette formation représente quelque chose de très important pour les participants, poursuit Sandrine, c’est un rêve pour eux. La moyenne de réussite tourne autour des 80% ». La promesse d’embauche est une des conditions à remplir pour être sélectionné pour la formation. La seconde, évidente, est de vivre/avoir vécu avec un problème de santé mentale. Il y a d’autres conditions encore comme l’aisance avec laquelle la personne raconte son propre vécu, le bon niveau de français parlé et écrit, le niveau d’étude collégial (entre le secondaire et l’universitaire) mais aussi et surtout sans doute, le recul, la distance par rapport à la « maladie ». Il est intéressant de noter que les Québécois, contrairement à nos compatriotes, ont tenté de déterminer le degré de recul de la personne. Celle-ci doit répondre à un questionnaire, détailler sa motivation et raconter son expérience personnelle. Ces trois exercices permettent déjà d’avoir une bonne vue d’ensemble de la distance que la personne a pris par rapport à ses difficultés passées/présentes. Si le candidat est sélectionné, il bénéficiera, outre des 15 jours de formation – au terme de laquelle il devra réussir un examen et présenter un travail – du soutien à court et long terme de l’AQRP en tant qu’étudiant mais aussi, en tant que pair-aidant diplômé.
Pour ne pas briser le rêve
Pour éviter que le rêve de devenir pair-aidant ne se brise devant la difficulté du métier, il est absolument nécessaire de prendre en compte les nombreux obstacles qui risquent de se présenter, si le « terrain » n’a pas été bien préparé. Quelles sont ces difficultés ? Elles sont liées d’une part aux pairs-aidants, et d’autre part, aux professionnels de l’équipe accueillante. Exemple du côté des pairs-aidants, d’abord. Le rôle de celui-ci peut manquer de clarté. Devant le risque de confusion, il est nécessaire de bien définir les rôles de chacun. Bien définir son rôle, c’est aussi savoir mettre ses limites. Le pair-aidant, dont la mission première sera de se « dévoiler » et d’être capable de raconter son histoire, sera amené à le faire de manière judicieuse, par « petites touches ».
Du côté de l’équipe accueillante ensuite. Même si les résistances à l’arrivée des pairs-aidant dans les services semblent avoir diminué au cours de ces dernières années au Québec, il conviendra de bien comprendre les préoccupations des professionnels. Leurs questions sont multiples: Comment accueillir et aborder ce pair-aidant? Comment travailler avec lui ? Comment lui faire confiance ? Risque-t-il de nous prendre notre emploi ? En quoi serait-il une plus-value dans l’organisation des soins? Sera-t-il autorisé à consulter le dossier médical ? Quid du secret professionnel ? Aura-t-il l’autorisation d’assister aux réunions de staff etc.? Et puis… Serons-nous amenés à le considérer comme un collègue, au même titre que les autres ? Ces questions méritent absolument d’être approfondies ensemble, entre tous les membres de l’équipe. Françoise a commencé son métier de pair-aidante il y a 7 ans. Après une première expérience réussie, elle a intégré un nouveau poste depuis trois ans. Confrontée au manque de bienveillance des collègues, elle parle de stigmatisation au sein de son équipe de travail. « Personne ne vient me poser de questions », dit-elle, « quand j’arrive au réfectoire, tout le monde s’arrête de parler. Heureusement, j’ai un excellent contact avec les usagers et une vie sociale riche». A ce propos, le rôle des « communautés pratiques » peut être déterminant. Il s’agit d’un réseau où les pairs-aidants, à raison de rencontres de 2h-2h30 toutes les 4 à 6 semaines, peuvent se retrouver pour élaborer des stratégies, développer des outils ou dénoncer des impasses. C’est l’occasion aussi, bien sûr, de se soutenir les uns les autres. Un manque de préparation du milieu d’embauche peut provoquer plus ou moins rapidement une rechute du pair-aidant. « Cela peut arriver, personne n’est à l’abri », explique Annie Beaudin, « Des aménagements raisonnables peuvent exister mais il faudra alors que tout le monde y ait droit ». Les Québécois espèrent ainsi éviter tant que possible la stigmatisation. Le recours au mentor – personne de confiance/référence – est conseillé. Le manque de préparation du milieu d’embauche, c’est ce qu’a connu Françoise dans son nouveau travail mais les objectifs auxquels elle tient restent les mêmes : insuffler de l’espoir (on peut s’en sortir), briser l’isolement ou encore, favoriser l’entraide entre pairs. « Les usagers me donnent encore des nouvelles après leur sortie, explique-t-elle, et ça, c’est valorisant ».
Travailler, oui. Mais où et avec qui ?
Les pairs-aidants diplômés travailleront dans le secteur public ou dans des ressources (= associations) communautaires. Les ressources communautaires peuvent être « alternatives » ou non. Le nombre important d’organismes communautaires au Québec est une grande richesse. Qu’entend-t-on par « ressources alternatives » ? Nous avons rencontré Jean-Pierre Ruchon, coordinateur du « Regroupement des Ressources Alternatives en Santé Mentale du Québec » et sa collègue, Annie Pavois. « Il s’agit pour nos ressources, de travailler « ailleurs et autrement », expliquent-ils, le gouvernement les subsidie pour qu’elles fassent autre chose que ce qui est offert de manière traditionnelle ». Chacune des ressources va avoir une mission différente : lieu pour « se déposer », entraide, ressource de soutien thérapeutique, centre de crise, centre d’hébergement etc. Dans ces espaces, la culture veut qu’il n’y ait pas de fossé soignant/soigné. La participation y est effectivement encouragée puisque la moitié des membres de l’Assemblée Générale est constituée d’usagers. Un nombre très restreint de pairs-aidants certifiés travaillent au sein des ressources alternatives. Celles-ci reconnaissent l’expertise du vécu des personnes ainsi que des rapports égalitaires entre les intervenants et les personnes utilisatrices. « En réalité, nous faisons de la pair-aidance depuis trente ans », explique Jean-Pierre Ruchon, « nous sommes vigilants aux discours qui définiraient les uns au détriment des autres (eux versus nous) ». Quand en est-il de la place des pairs aidants au sein d’une équipe médicale ? Plusieurs intervenants de la santé au Québec sont représentés par des Ordres professionnels spécifiques. Dans ce contexte, il est normal de se questionner sur la place qui sera faite aux pairs-aidants : « Oui, le pair-aidant peut combler un espace et avoir l’opportunité de créer un lien privilégié avec les personnes mais il peut aussi se retrouver dans un entre deux inconfortable». Pour Jean-Pierre et Annie Pavois, la formation des pairs-aidants est trop courte. « Elle n’est pas d’une durée suffisante pour combattre les préjugés », disent-ils « un des risques est que le pair-aidant devienne le faire-valoir par exemple du médecin ou de l’équipe. Il y a beaucoup d’enjeux mais évitons de faire des généralités, les expériences sont très variées ». En ce qui concerne le processus de rétablissement, Jean-Pierre et Annie se montrent plus critiques quand le rétablissement est le principe de base du plan d’action en santé mentale du gouvernement du Québec: « Le risque, ce serait de s’entendre dire « on t’a donné tous les moyens pour que tu t’en sortes (pour que tu trouves un emploi, par exemple), on t’a donné les moyens, on a mis des services autour de toi et tu ne t’es pas rétabli, c’est de ta faute » ». « Et donc », poursuivent-ils, « on ne respecte plus le choix de la personne ni son rythme ». Autrement dit, les problèmes de santé mentale, selon le regroupement des ressources alternatives, ne sont pas seulement reliés à la personne. Et le risque que le système s’appuie sur le rétablissement est réel. « La psychiatrie a changé complètement, on a diminué le nombre des hospitalisations, les temps d’hospitalisations aussi. Les personnes se tournent vers le communautaire. Ça ne veut pas dire qu’on a un pouvoir sur le changement social en tant que tel ».
Se détacher de l’intervention : l’expérience Sherpa
Pech est un organisme communautaire comprenant huit volets de services incluant Sherpa, un centre d’activités sur le rétablissement à Québec. Pierre-Éric y vient régulièrement pour se recréer du réseau, sortir de chez lui et de son isolement. C’est là, dans l’espace rencontre, qu’il vient prendre régulièrement un café. Il y accueille les gens, explique, entre autres, les volets de services de l’importante structure PECH. Il participe activement à l’accueil des gens, la mise sur pieds de projets répondant aux besoins des personnes (Soutien à l’offre de coiffure à prix modique, partage de son expérience auprès des stagiaires et autres activités) participant ainsi au développement du vivre ensemble et l’entraide entre pairs. « La communication, c’est ma force », dit-il. Par ailleurs, Pierre-Éric participe à des activités de formation et d’autres activités diverses comme le Tai Chi, le théâtre d’improvisation ou le dessin. Il se dit bien « soigné ». Bien sûr, certains symptômes subsistent mais rien ne l’empêche de « fonctionner » convenablement et de prendre des responsabilités. Il est bénévole. « Je ne suis pas prêt à assumer la tâche de pair-aidant », poursuit-il, « parce qu’il faut un certain temps et une bonne constance dans la vie ». Pierre-Éric était déjà à Sherpa quand un pair-aidant y travaillait. « C’était une bonne chose », explique-t-il, « il était disponible pour les gens, il pouvait nous raconter ses expériences de vie, donner des pistes de solutions, nous expliquer comment il en était arrivé à sortir de sa problématique. C’est un gros manque». Pierre-Éric voit dans le départ du pair-aidant une question de budget. Son de cloche un peu différent du côté de la responsable de la programmation en la personne de Lydia Trahan. « Effectivement, la personne a quitté le centre pour une retraite bien méritée, explique Lydia Trahan, et je n’ai pas renouvelé l’expérience. Non pas parce que nous trouvons la pair-aidance inintéressante, c’est au contraire essentiel, mais dans l’idée du volet de services Sherpa, nous voulons que les gens se détachent un peu de l’intervention. Nous nous sommes rendu compte que, parfois, les seules personnes de l’entourage des utilisateurs, ce sont les intervenants. Il ne faut pas oublier que le pair-aidant ne sera pas dans la vie de la personne en permanence». Autrement dit, Sherpa souhaite plutôt développer la résilience, l’entraide entre pairs. « On n’a pas toujours besoin d’un intervenant, chacun possède la richesse de sa propre expérience et le partage de cette richesse d’humain à humain amène une solidarité entre les gens et nourrit le besoin de donner et de recevoir», explique Lydia Trahan, « nous essayons de conscientiser et de responsabiliser les personnes ». Ici aussi, comme au Regroupement des Ressources Alternatives, le jugement sur la pair-aidance de manière générale est nuancé. Ecouter et entendre les expériences de pairs-aidants reconnus (comme Luc Vigneault, voir plus loin), peut avoir un double impact. D’une part cela suscite l’espoir mais, d’autre part, pour certains, il peut y avoir découragement devant le travail de rétablissement accompli. Ceux-là oublient que c’est leur propre chemin qui est important, quel que soit le rythme sur lequel ils y avancent. Mais quoi qu’il en soit, ces utilisateurs sont toujours très à l’écoute de ces témoignages, source de partage de savoirs expérientiels riches sur la résilience. Sur le plan humain, tout simplement.
Croire au potentiel des gens sans réserve
Luc Vigneault est pair-aidant. Nous le rencontrons dans son (grand) bureau de l’ (imposant) l’Institut Universitaire en Santé Mentale du Québec, un grand hôpital et un centre de recherche. Son job, il l’a décroché après des années de galère mais aussi de travail acharné pour « s’en sortir ». Ses nombreuses expériences de vie et de rétablissement lui ont permis de développer une expertise hors du commun. Son implication à l’APUR (Association de Personnes Utilisatrices des Services de Santé Mentale) ou dans des groupes d’entraide et de soutien l’ont aidé à monter les marches du podium et à devenir le pair-aidant respecté et admiré qu’il est aujourd’hui. Deux mandats pour Luc. Le premier l’amène à travailler dans une équipe mobile d’intervention et le second, à conseiller la haute direction de l’institut. Il en relève d’ailleurs directement. Toutes les deux semaines, il rencontre la directrice générale et se fait le porte-parole des usagers, ce qui lui donne un sacré pouvoir de décision sur les services. Ses autres activités lui permettent de mettre à profit ses compétences d’auteur et de conférencier. Luc donne également des formations sur le rétablissement entre autres pour les entreprises privées. C’est lui aussi qui accueille les nouveaux employés qui reçoivent une formation sur le rétablissement. « Pour se rétablir, il faut réunir une série de conditions », explique Luc Vigneault, « pour être un bon pair-aidant, il en faut d’autres. Essentiellement, ce dernier apporte de l’espoir et favorise la réappropriation du pouvoir d’agir ». Quelles sont les qualités du pair-aidant ? « Croire sans réserve au potentiel des gens, insiste Luc, ne pas juger ou préjuger de ce que les gens sont capables ou pas capables de faire. Le pair-aidant doit croire au projet de vie de la personne et l’accompagner ». Un bon pair-aidant est aussi un pair-aidant qui sait écouter. Ecouter est un art « On a deux oreilles et une bouche ». Enfin, prendre soin du rythme de la personne, voilà qui est important. Luc Vigneault se définit lui-même comme un « électron libre » dans le paysage de la santé mentale du Québec en choisissant de n’appartenir à aucun groupe d’usagers ni à Pair Aidant Réseau (voir plus haut). Lutter contre la stigmatisation dont sont victimes les pairs-aidants est l’un de ses chevaux de bataille. « Il faut savoir que les usagers représentés au Conseil d’administration des ressources sont bénévoles contrairement aux travailleurs non-pair-aidants. Pourtant, la valeur exceptionnelle de ces derniers est reconnue par les usagers et la littérature scientifique », explique-t-il. « C’est comme si les travailleurs non-pairs-aidants voyaient le pair-aidant comme une menace pour leur pouvoir. Pour moi l’hostilité envers les pairs-aidants est de la stigmatisation pure et simple» conclut Luc.
Une volonté politique
« Je ne connaissais rien de la pair-aidance quand le Docteur Delorme (Directeur national de la santé mentale, Direction de la santé mentale, ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS)) est venu me parler, explique Diane Harvey, directrice de l’AQRP (voir plus haut), les politiques se sont basés sur les expériences américaines ». Bref, au Québec, la volonté politique a précédé le travail de terrain contrairement, à la Belgique où l’on semble connaître l’inverse. « Votre première démarche est d’aller au politique », clame Diane, « pour que l’expérience pair-aidant soit un succès, il faut une volonté politique, des usagers leaders et des soignants novateurs ». Il est important aussi, pour les québécois de l’AQRP, de former d’abord les milieux d’embauche et ensuite, les pairs-aidants. Deuxièmement, il faut être intégré dans un réseau. La sensibilisation se fait dans les milieux demandeurs en organisant, par exemple, une journée entière sur la pair-aidance. A noter que le pire obstacle est constitué par les non-dits, c’est-à-dire, les silences de ceux qui sont « contre ». De cette sensibilisation peut se dégager la formation des milieux d’embauche. Parmi les difficultés rencontrées, la non-reconnaissance de la profession de pair-aidant et souvent aussi, du savoir expérientiel. Ou encore cette façon de dire : « nous sommes d’accord d’engager un pair-aidant à condition que vous nous donniez de l’argent ». Les québécois ont remarqué aussi que, malheureusement et, malgré le fait que le pair-aidant agit comme un levier contre les préjugés, celui-ci reste dans une certaine discrimination.
Pour une fonction rémunérée !
A l’AGIDD, l’Association des Groupes d’Intervention en Défense des Droits en Santé Mentale du Québec, on travaille toujours sur plusieurs grands principes qui définissent les valeurs de l’association : la primauté et la globalité de la personne ; la notion du ‘par, pour et avec’ ou encore, le préjugé favorable pour n’en citer que quelques-unes. Ce dernier principe signifie que l’on doit soutenir les personnes « dans l’expression de leurs choix et respecter leurs valeurs, selon leurs propres lecture et interprétation de leur réalité ». A noter que la majorité des personnes dans le Conseil d’administration souffre de problèmes de santé mentale. L’une de ces personnes occupe le poste de président(e). Les missions de l’association sont multiples : répondre aux demandes (problèmes avec l’école, les assurances privées, le médecin…) ; informer ; aider ; accompagner ; former mais attention, pas représenter « la personne se défend elle-même, insiste Doris Provencher, directrice de l’AGIDD. Concernant la pair-aidance, Doris insiste également sur le caractère obligatoire de la rémunération. « La reconnaissance passe par la rémunération ». Et comme plusieurs autres personnes rencontrées, Doris a un regard nuancé sur la pair-aidance en pointant bien le fait que les expériences avec des pairs-aidants ont été diversement concluantes. Elle se fait plus critique, à l’instar du regroupement des ressources alternatives par rapport au rétablissement qu’elle définit comme un dogme resté connecté à la maladie (je me rétablis donc j’ai été/je suis malade), une notion individuelle et non collective.
S’apprivoiser mutuellement
Baptiste Godrie est professeur associé au Département de sociologie de l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales et les discriminations (CREMIS). Il travaille sur la compréhension de la production des inégalités sociales et la reconnaissance des savoirs. Sa thèse sur le croisement entre les savoirs expérientiels et les savoirs professionnels l’a amené à rencontrer des pairs-aidants d’équipes de suivi intensif et variable. Il a mené une cinquantaine d’entretiens en deux ans et demi. Les grands constats de son étude ont été ceux-ci : les formations académique et clinique ont une certaine suspicion à l’égard des savoirs expérientiels. Les chercheurs et les cliniciens ne les reconnaissent pas toujours. Les savoirs expérientiels des usagers sont parfois ignorés et méconnus. « Il s’agit dès lors de se donner des méthodologies pour penser les conditions de la rencontre entre ces différents savoirs, » explique-t-il. Ensuite, l’étude a montré que les équipes doivent être bien préparées. On leur demandera également d’être ouvertes et bienveillantes. « Il s’agit de s’apprivoiser mutuellement, d’admettre que chacun détient un morceau du savoir ». La clé serait alors de partager le postulat de la diversité des savoirs pour mener à l’ouverture des équipes. « Pour le professionnel, l’expérience n’est pas un savoir », explique le chercheur, « il peut le devenir quand on a vécu des régularités et que l’on parvient à avoir un pouvoir d’action sur ces régularités et que ce pouvoir ait une valeur instructive pour les autres. Il y a le savoir « pour soi » et le savoir collectif, « pour les autres ». Au travers de l’échange entre pairs, il s’agit de rendre le savoir moins individuel. On ira alors vers plus d’ouverture ». L’étude de Baptiste Godrie a également mis en lumière la richesse des pratiques développées par les pairs-aidants. Une quinzaine de pratiques ont été documentées. Parmi elles, la mise en place d’un système de prévention avant un P38 (ce qui correspond à notre procédure de mise en observation) et d’accompagnement pendant cette procédure ou encore, l’idée d’aller vers la médication au besoin plutôt que forcée. Tout ceci devrait mener à l’objectif commun à tous c.-à-d. le bien-être du patient. Avec le regard expérientiel, on peut faire mieux ! Plusieurs indicateurs le démontrent : la réduction des séjours en hôpital, le meilleur suivi (on parle de choses plus personnelles), l’enseignement de la médication ou encore, la fréquence diminuée des retours à l’hôpital. « Il faut une diversité de pairs-aidants comme il y a une diversité d’usagers sur le terrain », explique encore Baptiste Godrie. La formation ne doit donc pas être excluante (par les prérequis nécessaires). Questions : quels sont les savoirs qui sont en moi ? Comment les utiliser ?
Se remettre à rêver
Au Pavois, important organisme (il accueille 800 personnes) à but non lucratif de type « club » – les membres y jouent un rôle actif – le mot « échec » ne fait pas partie du vocabulaire. On regarde plutôt les choses sous l’angle de l’expérience. Que m’a-t-elle permis d’apprendre sur moi ? L’approche du Pavois est centrée sur le rétablissement, chemin unique à chacun. Ici, nulle question de diagnostic ou de symptômes. L’idée n’est pas de répondre à des objectifs généraux (propreté, relations sociales…) mais de faire en sorte que chaque personne ait une vie satisfaisante. Comment pouvons-nous l’aider ? Il s’agit d’abord d’identifier ce qu’elle souhaite et ensuite, éventuellement, de l’aider dans ses démarches. L’important aussi est d’y aller par étape. Par où commencer ? Le Pavois, créé en 1989, a toujours travaillé avec des personnes à problématique de santé mentale au sein de l’équipe. Ce qui est considéré comme une grande richesse. Par ailleurs, une pair-aidante a été embauchée, ce qui n’a pas manqué de susciter des discussions. « La direction et certains membres de l’équipe freinaient, explique Brigitte Soucy, psychoéducatrice et responsable animatrice du REV (réseau d’entendeurs de voix), ils ne comprenaient pas la complémentarité savoir expérientiel/savoir clinique ou théorique». Ici, l’espoir est insufflé par tous. L’apathie des personnes en manque d’espoir est considérée comme une protection contre toute la douleur emmagasinée depuis souvent des années voire, dizaines d’années. Il faut alors laisser le temps au temps, que la personne se remette à vivre et à rêver…
Pascale Fransolet et Sophie Céphale
Merci à
Merci à,
Par ordre chronologique des rencontres :
Madame Annie BEAUDIN, coordinatrice du programme Pairs-Aidants Réseau (Association Québécoise pour la Réadaptation Psychosociale).
Monsieur Bruno Collard, coordinateur clinique à l’association « Revivre »
Jean-Pierre RUCHON, coordinateur de l’organisme « Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec ».
Monsieur Baptiste GODRIE, professeur et chercheur au Centre de Recherche de Montréal sur les Inégalités Sociales et les Discriminations.
Docteur André DELORME, directeur national de la santé mentale, Direction de la santé mentale, ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS)
Guillaume et son père, pair-aidant et proche.
Madame Lydia TRAHAN, responsible de la programmation Sherpa (PECH)
Monsieur Eric Gagnon, participant
http://infopech.org/centre-dactivites-sherpa/
Madame Brigitte SOUCY, psychoéducatrice, responsable animatrice du REV (Réseau d’Entendeurs de Voix)
Monsieur Luc VIGNEAULT, conférencier, auteur et pair-aidant à l’Institut Universitaire en Santé Mentale de Québec (IUSMQ).
Madame Eve COTE, directrice de l’APUR, Association des Personnes Utilisatrices des Services de Santé Mentale de la région de Québec.
Madame Diane HARVEY, directrice de l’Association Québécoise de Réadaptation Psychosociale (AQRP).
Madame Sandrine Rousseau, assistante à la coordination du Programme Pairs Aidants Réseau (AQRP).
Madame Doris PROVENCHER, directrice générale de l’Association des Groupes d’Intervention en Défense des Droits en Santé Mentale du Québec.
Madame Annie Bossé, pair-aidante à l’hôpital Notre-Dame (Montréal).
http://www.chumontreal.qc.ca/patients-et-soins/departements-et-services/…